Смекни!
smekni.com

Курс французского языка 4 том Г. Може; (стр. 22 из 81)

La foule cordiale, joviale, attend, tout le long de Poissy, les coureurs
que nous rattrapons. Un bon gros père, un peu saoul veut témoigner son
enthousiasme en étreignant l'un des automates noirs et jaunes, qui passe au
ralenti: l'automate sans visage détache soudain, sur la trogne du gros père,
un poing terrible et rentre dans son nuage, comme un dieu vengé...

Avenue de la Reine, à Boulogne... La foule, de plus en plus dense,
a envahi le milieu de la chaussée, et, dans son zèle incommode, s'ouvre tout
juste devant le gagnant, qui maintenant relève la tête, montre ses yeux
exaspérés et sa bouche ouverte, qui peut-être crie de fureur... On lui fait
place, mais la foule se referme devant nous, qui le suivons, comme un
champ d'épis serrés se remêle après une rafale.

Un second coureur nous frôle, pareillement entravé par la multitude qui
le fête, et sa blonde figure, pareillement furieuse, vise follement un point
devant lui: l'entrée du vélodrome...

120


C'est fini. Il n'y a plus maintenant que la piste immense du Parc des
princes, empli d'une foule étale4. Les cris, les battements de mains, les
musiques ne sont que brise au prix de la bourrasque qui m'apporta jusqu'ici
et d'où j'émerge assourdie, la tête bourdonnante. Mais je vois encore,
là-bas, très loin, de l'autre côté du cirque, je vois se lever, s'abaisser,
comme les deux bielles minuscules et infatigables qui suffisaient à
émouvoir cette tempête mécanique, les deux jambes menues du
triomphateur*.

COLETTE. Dans la Foule (1920).
Примечания
:

1. Мелкая, непромысловая рыба. Здесь: безымянная масса гонщиков. 2. Крылья.
3. Пыль, песок, скрипящий на зубах. 4. Резкий поворот в сторону, занос. 5. На корточ-
ках. 6. Ivre (terme populaire; prononcer: soû).l. Неподвижная, как море во время штиля.

Вопросы:

*Опappréciera, d'après cette page, le don que possède Colette d'évoquer les attitudes
etle mouvement. Mais la description ne cache-t-elle pas, ici et là, une discrète ironie?

LE TOUT-PARIS

Avant la deuxième guerre mondiale, il y avait et il y a -peut-être encore deux
catégories au moins de Parisiens: ceux qui vivaient dans la grande cité comme
ils auraient vécu dans n'importe quelle autre ville du monde simplement,
laborieusement, modestement, et c'était l'immense majorité; et'puis, une faune
curieuse, composée d'hommes et de femmes en vue, qui consumaient leur temps
en mondanités aussi futiles qu'ostentatoires et qui constituaient ce qu'il était
convenu d'appeler le Tout-Paris...

Une des activités essentielles de cette fausse élite consistait à participer à des
réunions dénommées pompeusement « cocktails » et dont MAURICE DRUON nous
offre une relation aussi exacte que cruelle.

Paris était au plein milieu de sa «Saison».

A tour de rôle, trois cents maîtresses de maison faisaient déplacer leur
mobilier et fourbir leur argenterie, retenaient les mêmes serviteurs en extra'
dévalisaient les mêmes fleuristes, commandaient chez les mêmes
fournisseurs lés mêmes petits fours, les mêmes pyramides de sandwiches
au pain de mie ou au pain de seigle, fourrés des mêmes verdures et des
mêrnes anchois, pour retrouver après le départ de leurs invités leurs ap-
parternents désolés comme par le passage d'une armée en campagne, leurs
meubles jonchés de coupes vides et de vaisselle sale, leurs tapis roussis par

121


les cigarettes, leurs nappes moirées de taches, leurs marqueteries frappées
de cercles poisseux, leurs fleurs asphyxiées par les effluves de la foule, et
pour se laisser choir, rompues, dans un fauteuil, en prononçant toutes la
même phrase: «Dans l'ensemble, cela s'est très bien passé...»

Et toutes, le lendemain, sinon le soir même, surmontant leur feinte ou
leur réelle fatigue, se précipitaient à des réceptions identiques.

Car c'étaient toujours les quelques mêmes centaines de personnes,
appartenant à ce qu'il y avait de plus notoire dans le parlement, les lettres, les
arts, la médecine, le barreau, à ce qu'il y avait de plus puissant dans la finance
et les affaires, à ce qu'il y avait de plus marquant parmi les étrangers de
passage (et qui souvent d'ailleurs ne passaient que pour cette occasion), à ce
qu'il y avait de plus prometteur ou de plus habile dans la jeunesse, de plus
riche dans la richesse, de plus oisif dans l'oisiveté, de plus gratin dans
- l'aristocratie, de plus mondain dans le monde, que l'on voyait graviter, se
bousculer, s'étouffer, s'embrasser, se sourire, se lécher, se juger, se haïr*.

La parution d'un livre, la première d'un film, la centième d'une pièce de
théâtre, le retour d'un explorateur, le départ d'un diplomate, l'ouverture d'une
galerie de tableaux, le record d'un pilote, tout était prétexte à quelque festivité.

Chaque semaine, une coterie3, pourvu que la presse l'étayât, révélait un
génie qui ne durerait pas deux mois, étouffé dans son succès ainsi qu'une
torche dans sa fumée.

Paris étalait alors en fait de robes, de bijoux et d'ornements tout ce que ses
métiers d'art et de mode pouvaient produire. L'invention et le goût, l'argent
aussi, se dépensaient sans compter dans le vêtement, la parure et le décor.

Prodigieuse foire aux vanités comme peut-être jamais il ne s'en était
tenu sur la terre! Quel mouvement intérieur poussait ces gens à se recevoir,
à s'inviter, à répondre aux invitations, à feindre le plaisir en des lieux où ils
s'ennuyaient à crever, à danser par politesse avec des partenaires qui leur
déplaisaient, à s'abstenir, par discrétion, de danser avec ceux qu'ils
désiraient, à se vexer s'ils étaient omis sur une liste, mais à gémir chaque
fois qu'ils recevaient un nouveau bristol4 à applaudir des œuvres ou des
auteurs qu'ils méprisaient, à être méprisés de ceux-ci mêmes qu'ils
applaudissaient, à se répandre en sourires pour des indifférents, à clamer
leur misanthropie, leur lassitude du monde, et à perdre mutuellement en ces
jeux curieux leur temps, leurs forces et leur fortune?

C'est qu'en cette foire où chacun était à la fois demandeur et offrant.
acheteur et camelot, se pratiquait le troc5 le plus subtil du monde, celui de
la puissance et de la célébrité**.

MAURICE DRUON. Rendez-vous aux Enfers (1951)

122


Примечания:

1. Слуги, нанятые в дополнение к обычной прислуге. 2. Поджаристая золотистая
корочка на каком-либо кушанье. Здесь: сливки (общества). 3. Клика, группа людей,
обладающих влиянием либо затеявших интригу. 4. Пригласительный билет, отпеча-
танный на бристольском картоне. 5. Обмен, меновая торговля.

Вопросы:

* Comment l'écrivain a-t-il su traduire les ridicules de cette société?

** La description ne glisse-t-elle -pas ici à la satire sociale? — On rapprochera ce texte
de celui où le même auteur dépeint la
Présentation d'une collection dans un magasin de
couture.

PARIS ET LA PROVINCE

Enverse la province, Paris n'éprouvait, hierencore, qu'un peu de pitié dédaigneuse:
elle manquait d'aisance, d'allure, de chic; qu'il s'agît de peinture, de musique, ou,
plus simplement, de mode, elle était toujours en retard d'une saison ou deux. Ah!
«faire province», quelle condamnation dans une bouche parisienne!..
Et c'est un peu ce que signifie cette page de FRANÇOIS MAURIAC. Mais elle
exprime aussi la province, paisible et laborieuse, dont les fils les mieux doués
viennent d'ailleurs renouveler sans cesse le sang de l'ingrate capitale. Il faut,
comme FRANÇOIS MAURIAC, avoir été soi-même arraché au vieux terroir
français, pour comprendre tout ce qu'il y a de grave, de profond, d'ineffaçable
dans une vie dont l'enfance fut marquée du sceau provincial.

Paris est une solitude peuplée; une ville de province esttln désert sans
solitude*.

Un provincial intelligent souffre à la fois d'être seul et d'être en vue. Il
est le fils un Tel, sur le trottoir de la rue provinciale, il porte sur lui, si l'on
peut dire, toute sa parenté, ses relations, le chiffre de sadotet de ses
espérances1. Tout le monde-le voit, le connaît, l'épie; mais il est seul (...).

La conversation est un plaisir que la province ignore. On se réunit pour
manger ou pour jouer, non pour causer.

Cette science des maîtresses de maison, à Paris, pour réunir des gens
qui, sans elle, se fussent ignorés, et qui leur seront redevables du bonheur
de s'être connus, cet art de doser la science, l'esprit, la grâce, la gloire, est
Profondément inconnu de la province (...).

Certes la bonne société provinciale ne compte pas que des sots: et un
important chef-lieu ne saurait manquer d'hommes de valeur. Si donc ces
sortes de réunions qui font l'agrément de la vie à Paris, paraissent

123


impossibles ailleurs, la faute en est à cette terrible loi de la province: on
n'accepte que les -politesses qu'on peut rendre.
Cet axiome tue la vie de
société et de conversation.

A Paris, les gens du monde qui possèdent quelque fortune et un train de
maison, jugent qu'il leur appartient de réunir des êtres d'élite, mais non de la
même élite. Ils s'honorent de la présence sous leur toit d'hommes de talent.
Entre les maîtres de maison, fussent-ils de sang royal, et leurs invités, c'est un
échange où chacun sait bien que l'homme de génie qui apporte son génie,
l'homme d'esprit qui apporte son esprit ont droit à plus de gratitude.

Ainsi reçus et honorés, les artistes, les écrivains de Paris n'ont point
cette méfiance des «intellectuels» de province guindés, gourmés , hostiles
dès qu'ils sortent de leur trou.

En province, un homme intelligent, et même un homme supérieur, sa
profession le dévore. Les très grands esprits échappent seuls à ce péril.

A Paris, la vie de relations nous défend contre le métier. Un politicien
surmené, un avocat célèbre, un chirurgien savent faire relâche pour causer
et fumer dans un salon où ils ont leurs habitudes.

Un avocat provincial se croirait perdu d'honneur si le public pouvait
supposer qu'il dispose d'une soirée: «Je n'ai pas une heure à moi...», c'est le
refrain des provinciaux: leur spécialité les ronge.

Province, gardienne des morts que j'aimais. Dans la cohue de Paris,
leurs voix ne parvenaient pas jusqu'à moi; mais te voici soudain, toi,
pauvre enfant; nous avons suivi cette allée, nous nous étions assis sous ce
chêne, nous avions parlé de la mort.

Le vacarme de Paris, ses autobus, ses métros, ses appels de téléphone,
ton oreille n'en avait jamais rien perçu; — mais ce que j'écoute ce soir, sur
le balcon de la chambre où tu t'éveillais dans la joie des cloches et des
oiseaux, ce sanglot de chouette, cette eau vive, cet aboi, ce coq, ces coqs
soudain alertés jusqu'au plus lointain de la lande, c'est cela même, et rien
d'autre, qui emplissait ton oreille vivante; et tu respirais, comme je le fais
ce soir, ce parfum de résine3 de ruisseau, de feuilles pourries**. Ici la vie
a le goût et l'odeur que tu as savourés quand tu étais encore au monde.

FRANÇOIS MAURIAC. La Province.

Примечания:

1. То есть надежд на получение наследства от родственников после их смерти
2. Надутых, чопорных, неестественных. 3. Смолы сосен, растущих в Ландах.

124


Вопросы:

* Commentez cette, maxime vigoureuse. Que pensez-vous de ce genre littéraire, que
vous pouvez trouver également dans les extraits de
La Rochefoucauld et de Brillat-Savarin?

** Montrez la force émotionnelle des démonstratifs contenus dans cette phrase. --
Quels personnages l'auteur désigne-t-il par toi, nous? En quoi ce procédé d'expression
est-il heureux?

A COMBRAY

Autant le Parisien, noyé dans l'immense fourmilière humaine qui s'agite
autour de lui, se perd dans l'anonymat et s'y complaît, autant le villageois
s'inquiète de connaître, jusqu'en ses moindres détails, la vie de son voisin. Il est
volontiers bavard, cancanier, et la plus infime nouveauté excite sa curiosité.
MARCEL PROUST, dont l'enfance s'est passée, pour une part, dans un village
d'Eure-et-Loir, a su rendre cette atmosphère de connaissance (et de
surveillance) réciproque, si fréquente dans toutes nos campagnes.

Quand le soir je montais, en rentrant, raconter notre promenade à ma
tante, si j'avais l'imprudence de lui dire que nous avions rencontré, près du
Pont-Vieux, un homme que mon grand-père ne connaissait pas: «Un
homme que grand-père ne connaissait point, s'écriait-elle. Ah! je te crois
bien !» Néanmoins un peu émue de cette nouvelle, elle voulait en avoir le
cœur net, mon grand-père était mandé. «Qui donc est-ce que vous avez
rencontré près du Pont-Vieux, mon oncle? un homme que vous ne
connaissiez point? — Mais si, répondait mon grand-père, c'était Prosper, le
frère du j ardinier de Mme Bouillebœuf. — Ah! bien», disait ma tante,
tranquillisée et un peu rouge; haussant les épaules avec un sourire ironique,
elle ajoutait: «Aussi il me disait que vous aviez rencontré un homme que
vous ne connaissiez point!» Et on me recommandait toujours d'être plus
circonspect une autre fois, et de ne plus agiter ainsi ma tante par des
paroles irréfléchies. On connaissait tellement bien tout le monde,
à Combray, bêtes et gens, que si ma tante avait vu par hasard passer un
chien «qu'elle ne connaissait point», elle ne cessait d'y penser et de
consacrer à ce fait incompréhensible ses talents d'induction et ses heures de
liberté.